Passager

2012-2017
472 986 km

à Umé

Passager

De ces pièces et lumières
en routes et cieux
– saisies ne sont qu’ordinaires

Ce commun qui de mes pas
me pousse et me tire
tant à la solitude
qu’en des chambres passantes

Je croise et je vois
dans la vie souciante
une femme impudente
Sans aucun autre regard

Se reprend elle fuit
en ombre devenue
de ses mains elle n’empêche
à la vue d’y tenir

Mes yeux aveuglés
chantent dans le silence
cette odeur certaine
des breuvages d’origines

S’accouche alors
un orgasme inédit
une lumière un vertige
au travers du rideau

Banlieues et montages
d’arbres et de chiens seuls
s’esquissent à nouveau
– En regard je repars

A.B.

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PASSAGER

(English version below)

Qu’est-ce qu’exister, au juste? Surtout, comment répondre à cette question sans les recours convenus aux grandes orgues intimidantes et tympanisantes de la métaphysique, ni aux échappées dans une poésie de mauvais aloi, qui ne constituent que des manœuvres dilatoires ? Il y a une manière simple de tenter l’exercice, pourtant ; revenir à la source étymologique du mot :ex-sistere. Sistere, dérivant de la racine indoeuropéenne sta, qui veut dire se tenir debout, immobile (d’où vient le latin stare), signifie placer et/ou se placer.
Exister c’est donc placer et/ou se placer « ex » — hors de : à la fois se placer et se déplacer, bref agir pour trouver ses (bonnes) places. Ce qui exige de savoir et pouvoir maîtriser les distances qui s’établissent entre les réalités humaines et non-humaines que nous croisons au quotidien. Cet incessant jeu combiné des distances, des places, des placements et des mouvements est au cœur de l’activité des individus en société. L’existence serait ainsi une action spatiale permanente.

Cette action, Arnaud Brihay l’image par le présent travail photographique en se focalisant sur son existence personnelle. Mais attention, point de confusion s’il vous plait ; il ne se veut pas documentariste/taliste de ses parcours, mais égo-archéologue de ses propres traces de vie. Arnaud Brihay emprunte sans cesse des avions pour son activité professionnelle qui le mène en de nombreux pays. De retour à Lyon, il continue de bouger, mais à une autre échelle, allant de lieux en lieux, souvent des ancrages de sa vie et de sa sociabilité. De temps à autre, il rejoint sa Belgique natale.
Il compose ainsi une géographie vécue qui articule et met en tension des lieux, des lignes de déplacement, des connexions. Son existence est ainsi passagère et traversière, au sens où il passe d’endroits qu’il traverse à d’autres endroits qu’il traverse tout autant, sans se fixer jamais très longtemps : est-ce cette instabilité de son espace vécu de néo-nomade contemporain qui l’a poussé à photographier depuis quelque années, des moments fugitifs, des ombres, des atmosphères. Tout cela, comme pris à la volée, nous donne à voir comme de fragiles dépôts d’une vie errante et quelque peu mélancolique, marquée par une sorte de Saudade de l’individu mobile contemporain — une nostalgie de ce qu’on laisse derrière soi à chaque départ : des êtres aimés ou amis, dans l’attente d’une nouvelle rencontre, des lieux, des paysages auxquels Arnaud Brihay est si attaché qu’il y a consacré plusieurs séries avant que sa photographie ne s’allège de tout le poids de la fixation des formes construites pour ne se concentrer que sur l’impression du passage.

Au début d’Espèces d’espaces, un de ses livres les plus fameux, George Perec présentait ainsi son sujet et son projet d’écriture : « L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ?
Ce sont ces « où » qu’Arnaud Brihay saisit, c’est cet espace-temps non euclidien d’une vie (la sienne, mais comment ne pas voir que ce qui est montré pourrait tout aussi bien provenir de la nôtre ?) qu’il balise de ces petites lumières d’images tremblées arrachées au noir de l’oubli. Ces fragments ténus ici assemblés nous émeuvent car, en vérité, au-delà du cas Arnaud Brihay, ils nous parlent de nous, de notre existence solitaire et des sensations qu’elle accroche au passage.

Michel Lussault

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PASSENGER

What is it exactly to exist? And above all, how can this question be answered, without reverting to the threatening and deafening explanations of metaphysics, nor to the elusiveness of low-quality poetry, which are nothing but postponing manoeuvres? Nevertheless, there is a simple way to do this: let’s go back to the etymology of the word: “ex-sistere”. „Sistere”, derived from the Indo-?uropean root „sta”, that is „to stand up, motionless” (out of which originates the Latin “stare”), means “place” or/and “place oneself”.
Therefore, to exist is to place or place oneself „ex” – outside: at the same time to place and displace oneself, in short – to act, in order to find one’s (proper) place. This requires to know and to master the distances, established between the human and the non-human dimensions, which we encounter daily. This everlasting combined play of distances, places, locations, and motions is in the heart of people’s activities in society. The existence would thus be a permanent spatial action.

This action is visualized by Arnaud Brihay by the present photographic work, focusing on his existence. But, attention, let there be no confusion, please: he does not pretend to be a documentarist/documentalist of his journeys, but an ego-archaeologist of the traces of his life. Arnaud Brihay constantly hires planes for his professional activities, which lead him to numerous countries. Upon his return to Lyon, he continues to move, but on another level, going from place to place – often anchors of his life and his sociability. From time to time he returns to his native Belgium. He thereby composes a lived geography, which articulates and accentuates on places, lines of motion, connections.
His existence is transitory and traversing, in the sense that he passes through places, to reach other places, without settling in for long: is it this instability of domicile as a neo-nomad what has driven him for some years now to photograph fleeting moments, shadows, atmospheres?
All of this, captured in motion, reveals the fragile pieces of a wandering and a little melancholic life, marked by a sort of Saudade of the contemporary mobile individual – a nostalgia for what one leaves behind with every departure: loved ones or friends, waiting for a new get-together, places, landscapes, to which Arnaud is so attached, that he consecrated to them several series, before his photography grew apart from the fixed forms and concentrated on the impression of passage.

In the beginning of „Species of Spaces and Other Pieces”, one of his most known works, George Perec presented his theme and writing project, as follows: „the space of our life is neither continuous, nor infinite, nor homogenous, nor isotropic. But do we really know where it breaks, where it disconnects, and where it assembles itself”
These are the „where’s”, that Arnaud Brihay captures, this is the non-Euclidean space-time of a life (his own, but how can we not see, that what is shown could as well be derived from our own life?), which he marks with these little lights of trembling images, snatched from the darkness of oblivion.
These fragments gathered hereby affect us, because, in truth, beyond the case of Arnaud Brihay, they speak of ourselves, of our solitary existence and the feelings it attaches to the passage.

Michel Lussault

BOOK « Passager »
Limited edition of 70 books, signed.
32€
Edited by and available at OHM Editions